Coincés dans un ascenseur. [PV Rébéca]

J’entendis Derek jurer. Apparemment à lui non plus ça ne faisait pas plaisir de rester coincé ici dans cet ascenseur de malheur. En même temps, s’il était ici c’était surement parce qu’il avait rendez vous avec une jolie demoiselle à la cervelle de moineau ! Oh quel triste scénario, la pauvre serait tellement déçue. Pff, pathétique. Enfin, j’avais autre chose à penser qu’à ses conquêtes féminines, je n’aurais sans doute pas assez de toute une vie pour ça. À vrai dire, il était difficile de ne pas penser à lui alors qu’il se trouvait juste devant moi, et il était encore plus difficile de penser à lui sans penser à ses histoires d’un soir ! Quoiqu’il en soit, je n’avais pas à m’en faire. L’ascenseur serait bien vite réparé, il me suffisait d’attendre patiemment. Après cela, nous nous en irions chacun de notre côté sans plus avoir à supporter la présence de l’autre. Derek se mit alors en mouvement, il alla actionner l’ostensible bouton rouge URGENCE. Pourquoi n’y avais-je pas penser ? En fait, j’avais totalement oublié son existence. Guettant une quelconque réaction à son geste, je soupirais de plus bel en me rendant compte que rien ne se passait. Comme toujours… j’étais définitivement poursuivie pas la malchance ! En y pensant, ce scénario était digne des plus classiques films, le coup du jeune homme et de la jeune femme se retrouvant bloqués dans un ascenseur, sans d’autres choix que de cohabiter le temps de la réparation - qui tardait toujours bien entendu - et avant ça que quelqu’un remarque l’arrêt du dit appareil puisque bien sûr ce fichu bouton de fonctionnait jamais. A quoi bon d’ailleurs continuer à en mettre un ? Ils ne vont jamais !

Rendant les armes à son tour, il vint s’appuyer à mes côtés à la paroi. Déjà qu’à la base c’était étroit, et l’avoir en vision à proximité n’était pas facile, mais là le sentir si proche, c’était juste intenable ! Pour me donner plus de courage, j’aspirais une grosse goulée d’air. Erreur ! Par la même occasion j’avais fortement senti son parfum, son odeur… Je me mordis la lèvre inférieure. Quelle idiote je faisais ! Je fermais les yeux quelques secondes, essayant de faire abstraction de tout ce qu’il y avait autour de moi, lui y comprit. Lui surtout ! Au plus vite cet ascenseur repartirait, au plus vite toute cette histoire serait finie ; et je pourrais rentrer tranquillement chez moi me reposer et me le sortir de la tête, ou du moins essayer. Car oui en effet, il était hors de question qu’après tout ça, je mette à exécution mon programme et aille courir les boutiques. Je n’avais désormais plus du tout la tête à ça, mais alors loin de là ! Soudainement j’eus une idée. Mon portable ! Oui, je pouvais appeler les secours pour prévenir de notre situation, ainsi ils feraient au plus vite et je serais enfin libérée ! Un grand sourire se dessina alors sur mes lèvres, et je sortis de mon sac mon téléphone. Un bref coup d’œil suffit pourtant à me faire déchanter. Aucun réseau ! Non mais c’était un comble !! Ce n’était pas possible, j’étais vraiment maudite. Tout d’abord il avait fallu qui rentre in-extrémiste dans cet ascenseur où j’étais seule, puis que ce dernier se stoppe, après ça que le bouton d’urgence ne fonctionne pas, et maintenant on ne captait aucun réseau d’ici ?! J’aurais vraiment mieux fait de rester chez moi aujourd’hui… Pourquoi est-ce que j’avais à tout prix voulu commencer par ce magasin là ? Il y en avait des tonnes, mais non moi je devais obligatoirement aller en premier dans celui-là, celui-ci se trouvant bien entendu à l’un des derniers étages. C’était vraiment fait exprès, je ne voyais pas d’autres explications.

Tentant tout de même de me calmer et de prendre mon mal en patience, je me dis que les choses auraient pu être pire, que ça allait, après tout nous n’avions qu’à attendre. Ce n’était pas non plus la mer à boire. Enfin le pensais-je… À ce moment là, continuant sur la voie du malheur, la lumière se coupa, nous plongeant dans l’obscurité la plus totale. Un cri étranglé d'angoisse et de frayeur mélangés s’échappa alors de ma gorge et par réflexe ma main vint se refermer sur le bras de Derek, que je serrai anxieuse. Je n’avais jamais aimé le noir, traumatisant souvenirs d’enfance… Je n’y étais absolument pas à l’aise du tout - pire, ça pouvait parfois me provoquer de réelles crises de paniques. Je fermais alors à nouveau les yeux, et respirais profondément. Respirer : aspirer, expirer, aspirer, expirer… Rh, ça ne marchait pas. Pourtant je n’étais pas bête, je n’avais pas peur - à proprement parlé - du noir, je savais que je n’avais rien à craindre, qu’il ne m’arriverait rien de plus parce que la noirceur m’entourait, mais je n’y pouvais rien, je n’avais aucun contrôle sur ça. Ah ! mais quelle stupidité, je me trouvais totalement et irrémédiable stupide en cet instant à me mettre en panique pour ça. J’avais beau me dire tout ce que je voulais, rien n’y faisait. Je resserrais alors la prise que j’avais sur le bras de Derek. Derek… Je réalisais alors qu’il devait aisément sentir dans quel pathétique état j’étais ! On ne pouvait faire pire. Mais en même temps… sa présence, elle pouvait m’être bénéfique ! Si je lui parlais ça pouvait m’aider à vaincre mon malaise. Revenant sur ma décision de conserver un parfait mutisme, je me décidais à lui parler, gardant les yeux hermétiquement fermés. Tant pis s’il m’ignorait, me trouvait sotte, ou je ne sais quoi, je ne m’étais jamais arrêtée aux idées des autres et ça n’allait certainement pas commencer maintenant, maintenant où j’avais justement besoin de passer outre tout ça. « Dommage si tu avais en tête d’attendre paisiblement dans le silence que tout finisse et que tu puisses sortir - sans doute pour rejoindre une quelconque fille de passage - mais ça ne sera pas le cas. Tu peux te moquer de moi tout ton saoule, dire ce que tu veux, je m’en contrefiche. Là j’ai juste besoin de tenter par tous les moyens possibles de me calmer, d’oublier que nous sommes coincés dans un ascenseur, enfin non - ça je m'en fous là - plutôt d'oublier que nous sommes dans le noir. Plongés totalement dans cette satanée obscurité de malheur… Tu n'es même pas obligé de répondre non plus ou quoique ce soit. Je risque aussi de très vite d'agacer mais c'est comme ça, tant pis pour toi, il ne fallait pas monter dans cet ascenseur. Quoique... en fait non ! c'est parfait que tu y sois, sans quoi je m'y retrouverais totalement seule et ça... ça serait le pire de tout. Oui donc en fait étrangement je remercie ta présence, même si ce n'était pas le cas quelques instants plus tôt, pas du tout même ! Mais bon ça tu devais l'avoir remarqué, comme j'avais remarqué que c'était la même chose pour toi, ce qui est tout à fait normal et compréhensible soi dit en passant ! » Moi qui ne parlais pas des masses habituellement, je me transformais soudainement en un véritable moulin à parole, qui sortait inepties sur inepties, tout pourvu que cela m’aide.

Non mais par pitié ! Que cette satanée lumière revienne et par-dessus tout que cet ascenseur se remette en marche et ainsi me libère. Et cette fichue angoisse de l’obscurité ! Comme s’il ne manquait que ça, elle me poussait au ridicule, et jamais de ma vie je n’avais autant eu envie d’être ailleurs que l’endroit où j’étais. Déjà que ma relation - si relation il y a avait toujours d’ailleurs - avec Derek était devenu un grand n’importe quoi pathétique, après ça je n’oserais même plus jamais le regarder en face quand bien même les choses entre nous viendraient à s’arranger. Comment le pourrais-je alors que je me donnais si ridiculement en spectacle en ce moment même ? Je me sentais si abrutie de me mettre dans un tel état, de serrer si fortement son bras pour une raison si stupide que celle-là ! Mais je n’y pouvais rien malheureusement, cela faisait parti de ces choses incontrôlables dont on se passerait volontiers. Si je ne gardais pas encore une once de fierté j’en aurais presque pleuré de désespoir. S’il vous plait que ses portes s’ouvrent et vite ! Pourquoi est-ce que des trucs pareils devaient toujours me tomber dessus ? J’avais dû être maudite à la naissance, il n’y avait pas d’autres explications possibles ! Enfin, il fallait quand même éviter de tomber dans le mélo, après tout cet ascenseur finirait bien par être réparé non ? Ca ne devait certainement pas prendre tant de temps que cela, si ça se trouvait en ce moment même ils étaient déjà en train de travailler à son redémarrage et ainsi il ne nous restait que quelques instants à patienter ! « Je… Je suis aussi embêté que toi d’être dans cet endroit, enfermé, et moi aussi je suis très mal à l’aise que ce soit avec toi, c’est vrai ça aurait été une autre fille j’aurais joué à mon jeu de séduction et ça aurait passé le temps, mais là je ne peux pas et d’ailleurs je n’en ai pas envie. Et n’ai pas peur du noir, c’est juste cette putain d’ampoule qui a grillé, pas la peine de t’en faire, aucun monstre horrible ne va venir te faire du mal, sans quoi je serai obligé de lui faire la peau. » Malgré la situation, il réussit à m’arracher un sourire. Après tout, Derek restait Derek et même si j’avais été la pire des garces avec lui il tentait de me réconforter, de me faire oublier ma peur. Je ne méritais pas ça… Non j’aurais mérité qu’il se taise et me laisse me ridiculiser apeurée. Mais il n’était pas comme ça. Et puis la maladresse dans ses paroles, dans sa voix ; c’était une chose que j’avais rarement eu l’occasion de constater chez lui mais chaque fois, ça m’avait touché au plus profond de moi, cette autre facette de lui, moins assuré.

Finalement, sa tentative de détendre l’atmosphère associée à mes propres pensées sur lui et son comportement que je ne méritais aucunement avaient réussi à m’apaiser un peu. Certes je n’étais toujours pas à l’aise - il ne fallait pas trop en demander non plus - mais c’était beaucoup mieux déjà. Je desserrais donc l’emprise que j’avais sur son bras mais sans pour autant le lâcher ; autant j’avais besoin de garder un contact pour me rassurer autant je n’avais tout simplement pas envie de le laisser. Décidant de reprendre la parole, je parlais d’une voix plus assurée maintenant bien qu’encore un peu tremblotante. « Merci Derek… merci beaucoup. » Je savais qu’il comprendrait que plus qu’un simple remerciement pour sa tentative, c’était un merci pour être passé outre mon comportement envers lui, pour être présent tout simplement. « Et si on s’asseyait ? » Sans attendre de réponse précise, je me laissais glisser contre la paroi métallique de l’ascenseur sans toujours le lâcher. J’avais envie de lui dire une tonne de choses, mais je doutais que lui ait envie de les attendre… J’avais été horrible avec lui et rien ne pourrait excuser ça. Bien sûr il me l’avait bien rendu par la suite mais je l’avais amplement mérité, et pourtant… pourtant j’espérais naïvement. Peut être était-ce - finalement - le noir aidant ou l’enfermement, je ne sais pas mais les paroles me vinrent naturellement et je ne pus m’empêcher de parler. « Même si tu n’en as probablement plus rien à faire aujourd’hui, je voudrais m’expliquer, tu sais mon comportement de ce jour là. J’ai été horrible, même plus que ça en fait et mes mots ont dépassé ma pensée. Bien sûr ce n’est pas une excuse mais j’ai eu peur à vrai dire, parce que je ne pouvais pas le croire. Je t’avais toujours vu charmeur, dragueur et j’en passe, sans compter toutes les fois où tu m’as toi-même parlé de ta « philosophie » avec la gente féminine, cette fois-là même tu m’as dit avoir peur de faire n’importe quoi avec moi, alors j’ai préféré fuir. J’aurais voulu répondre positivement à ta déclaration, et tout le tralala mais j’ai agit égoïstement parce que je ne voulais pas souffrir, je ne veux pas être juste un nom supplémentaire sur une liste déjà énorme… Et même si j’avais l’impression qu’avec moi tu étais différent, je ne pouvais pas me départir de cette peur. Bref, je sais que quoique je dise ça ne changera rien, tu as même sans doute déjà tourné la page mais au moins j’aurais été franche et puis je me serais excusée, parce que comme tu l’auras deviné je suis désolée… » J’avais fini par lui dire tout ce que j’avais sur le cœur d’une seule traite, tout ? Pas vraiment mais avais-je réellement le courage de tout dire ? Je ne savais pas… mais aurais-je une autre occasion de le faire ? Non sans doute pas, alors autant profiter de cette obscurité qui se révélait au final bénéfique et du fait qu’en était coincé il était un peu obligé de m’écouter. Tant pis si j’essuyais un nouveau refus ou je ne sais quoi, de toute manière je ne m’attendais à rien d’autre qu’à une absence de réponse ou quoi, comment pourrait-il en être autrement ? « Rien a changé, pour moi. Ce que je t’ai dit dans ce parc était vrai et est toujours vrai. Il fallait que tu saches même si la réciproque n’est plus vrai pour toi. »

Malgré le contenu de ses propos, je souriais. Pas de bonheur bien sûr, ni de tristesse d’ailleurs, un peu un sourire désillusionné. Je m’attendais à une réponse pareille, je lui avais même dit, quoi d’autre de toute manière ? Je ne voulais pas, enfin n’attendais rien d’autre, je n’attendais rien tout court. J’avais juste besoin de lui dire, de me confesser en quelque sorte et je n’étais pas sûre d’avoir le droit à une autre occasion aussi propice si l’on pouvait dire. Et puis l’atmosphère, le noir - dont j’avais d’ailleurs totalement fait abstraction maintenant - l’enfermement, tout ça aidait à l’aveu. Sans pour autant lui tenir rigueur de quoique ce soit, je n’avais plus envie de faire la conversation, en fait je n’avais rien à dire d’intéressant ; mais quoiqu’il en soit, je ne le lâchais pas, j’aimais bien ce contact rassurant et je craignais également que sans lui mon angoisse ne reprenne le dessus sur le calme que j’étais parvenue à établir. Après tout ça, je crois bien que je rentrerais directement chez moi, mon envie de faire du shopping était totalement passée. À vrai dire en ce moment précis je n’aspirais plus qu’à une seule et unique chose : un bon et long bain bien chaud, rempli de mousse avec un bouquin de mon cru et de la musique en fond sonore. Ca serait le paradis, oui parfait et me permettrait de me changer les idées, de totalement me détendre. De toute manière pour ces prochains jours je n’avais rien de prévu, en ce moment je n’avais envie de rien faire, me reposer un peu avant la reprise des cours. Enfin en y pensant si, j’avais ce défilé la semaine prochaine pour Bella Andrews’, l’agence mannequin dans laquelle j’étais en parallèle de mes études d’art dramatique. Actrice restait mon rêve, ma priorité mais mannequin pourrait m’aider justement pour ça dans le futur, maintenant j’avais déjà un nom dans le milieu, ça serait bénéfique. Mannequin vedette, j’avais été étonné quand on me l’avait proposé, je ne m’attendais pas à l’être dans un défilé.

Je fus sortie de mes pensées quand la lumière revint en même temps que le mouvement de l’ascenseur. Il repartait réellement ? J’avoue que j’avais fini par ne plus y croire ! Mais c’était un soulagement, un infini soulagement. Me relevant d’un bon suivi par Derek, j’attendais impatiemment que les portes s’ouvrent ; ce qu’elles ne tardèrent pas à faire, sur une petite troupe de personnel du centre commercial et une jeune femme qui me fusilla du regard en voyant ma main tenant toujours le bras de Derek. Etouffant un sourire amusé face à sa visible stupidité, je gardais tout de même mon sérieux. Etrangement et sans raison, je me retrouvais presque de bonne humeur maintenant alors qu’avec tout ce qui c’était passé ça aurait dû être le contraire. M’avançant pour sortir de l’ascenseur qui nous retenait prisonniers il y a encore quelques instants, je me tournais vers Derek et l’embrassais sur la joue comme au revoir avant de le lâcher enfin et de partir sous le regard incendiaire de la cruche qui servait de compagne à Derek aujourd’hui. Remontant la rue qui menait à mon loft, je me sentais bizarrement légère, comme libérée d’un poids. Il y avait peu de chance que je recroise Derek de sitôt et même si ça m’attristait tout de même d’un côté, au moins je lui avais dis tout ce que j’avais à lui dire. Bien sûr, ça n’effaçait pas tout ce que j’avais fait, mon comportement, ces mots horribles que j’avais prononcé et qui me hantaient toujours même maintenant, mais je m’étais vidée en quelque sorte, soulageant tout ce que j’avais sur la conscience en lui parlant. Je serais toujours fautive, toujours en faute rien ne changerait ça, mais tout était clair entre nous désormais. J’avais dit ce que j’avais à dire, et voilà, tant pis si les choses n’étaient plus pareilles pour lui, tant pis si j’avais réduit ses sentiments à zéro avec la lâcheté, je n’y pouvais rien de toute manière, mais j’avais été franche ; désormais il savait. C’est sur ses pensées que je pénétrais chez moi allant directement faire couler ce bain que je m’étais promis de prendre, préparant livre et musique.